20120425

Master Marathon Queen-Hot Space 1982

     
    L'expérience Flash Gordon achevée, c'est avec une certaine impatience que nous pouvons attendre le retour de Queen aux commandes d'un véritable album et non plus d'une bande son bricolée pour un film au succès mitigé. Au sein du groupe, des tensions sont apparues, les intérêts musicaux de ses membres divergent de plus en plus et c'est le moment également du développement de projets solo sur lesquels nous ne nous étendrons pas pour l'instant. Les concerts par contre sont par contre toujours plus gigantesques, le groupe s'aventurant même en Amérique du Sud, chose peu courante à cette époque. Le succès populaire est là depuis l'album The Game et la notoriété de Queen est désormais mondiale en dépit de critiques plus mitigées. L'album Hot Space apparaît dans ce contexte, le groupe semble donc reprendre le cours normal de son existence et nous pouvons nous attabler tranquillement autour de cette nouvelle production, le coeur rassuré de nous retrouver en terrain connu.



                                                                       Hot Space.


    Le coeur rassuré, pas vraiment en fait.
    Sous une pochette aux couleurs tranchées inspirée apparemment par le jeu de jeu de Simon (avec une inversion que les plus observateurs remarqueront), se cache un album vraiment étrange dans la discographie du groupe. Il semble que le groupe se soit lancé à corps perdu à travers tout un album dans une exploitation du succès total de Another One Bites the Dust. Queen abandonne son style hard-rock/pop-rock pour aborder un style qui a priori ne lui sied pas, Hot Space est une sorte de mélange disco-funk/new-wave/pop synthétique, et oui, synthétique. Oubliés les solos de Brian May au style baroque, oubliés les roulements de tambour de Roger Taylor et bienvenue aux synthétiseurs les plus débridés accompagné de leur lot de boîtes à rythmes encore peu développées à l'époque et donc très stéréotypées. Le constat est rapide, cet album n'a rien  à voir avec le reste de la carrière du groupe et la déception des fans de la première heure comme la volée de bois vert en provenance de la critique seront au rendez-vous. Généralement, et si l'on exclut Flash Gordon de la discographie canonique de Queen, Hot Space et considéré comme le pire album du groupe, tout simplement. Tout cela est-il justifié ou avons-nous là une oeuvre incomprise ? Penchons-nous sur les morceaux afin de peut-être trouver une réponse.




   Staying Power ouvre le bal avec son cortège de synthétiseurs outranciers et ses cuivres étrangement artificiels. Le rythme marqué et dansant est caractéristique de l'album dont il constitue une introduction tout à fait représentative. Ce morceau suffit presque à faire crier "TRAHISON" à l'auditeur qui ne pourra s'empêcher d'être déstabilisé par cette composition dont seul le nom sur la pochette nous rappelle qu'elle est bien de Queen. Mais sinon, est-ce si atroce ? Et bien, le morceau porte beaucoup des stigmates de son époque, les cuivres formatés et la boîte à rythme ont une artificialité difficile à surmonter. Cependant, un certain charme opère, il nous replonge dans cette époque de tâtonnement musical où l'usage des machines est encore un peu marginal et mal maîtrisé. Mieux encore, la motivation de Freddie Mercury qui cabotine avec bonheur rend cet étrange morceau plutôt efficace.
  Dancer est un morceau de Brian May, plutôt discret dans un album qui met surtout en avant le groove ainsi qu'une thématique (homo)sexuelle qui ne l'inspire que moyennement. Le morceau est pourtant tout à fait en accord avec le reste de l'album, synthétique, presque automatisé dans sa rythmique, et avant tout dansant (oui, c'est logique). Sa trame presque robotique contraste avec l'attitude très organique de Freddie Mercury qui s'en donne à coeur joie, baignant dans un univers où il semble tout à fait se (com)plaire. Alors oui, cela n'a pas grand chose à voir avec Queen et nous avons là un morceau qui fait bien plus penser aux projets solo du chanteur, néanmoins l'apport du groupe rend la chanson nettement plus efficace. Les paroles décrivent avec enthousiasme les soirées de débauche organisées à l'époque par le groupe où on aurait même vu des nains couverts de viande... (Lady Gaga n'a jamais caché son admiration pour le groupe)
   Back Chat est un morceau de John Deacon. Il joue de tous les instruments sur ce morceau à part la batterie très "poum-poum-tchak" de Roger Taylor (et son solo encore plus "poum-poum-poum"). La basse est tout à fait funky et particulièrement accrocheuse, la guitare rythmique est également incisive et nerveuse, tout autant que les petits solos répartis tout au long du morceau. Après Another One Bites the Dust, on se doutait bien des capacités du discret bassiste, il confirme ici même si le morceau n'a pas connu un succès comparable. Freddie Mercury n'a perdu en rien de sa motivation, il se montre à nouveau tout à fait dans son élément au sein d'une musique prêtant nettement plus à la danse que tout ce que le groupe avait produit jusqu'alors. L'album a beau être mal aimé, un morceau comme celui ci est parfaitement maîtrisé, si c'est un exercice de style, alors c'est tout à fait réussi. Back Chat n'a jamais été un classique du groupe, le morceau mérite d'être redécouvert.
   Body Language quant à lui n'a pas cette chance. Le morceau est de Freddie Mercury, et cette fois l'évocation sexuelle n'est plus du tout suggérée mais bombardée à tout va. Dégoulinant de sueur, la chanson évoque donc, à mots découverts le langage du corps. La basse synthétique qui le domine (avec une absence presque totale de guitare, Brian May ne devait pas se sentir très concerné, et on le comprend) évoque des mouvements de bassin qu'on n'imagine pas simplement dédiés à la danse et si un doute subsistait les paroles ne dissimulent aucunement les intentions du chanteur. Il décrit avec bonheur "the cutest ass" par ci, les "red lips" par là. Et hurle carrément un "give me your body" impatient. Alors oui, le morceau est très drôle, peut-être volontairement, mais il peut également être assez pénible à entendre, à la limite du dérangeant, un peu comme si on avait surpris le chanteur en pleine action. L'envie qui nous vient à l'écoute de ce morceau n'est pas vraiment celle qu'il semble vouloir provoquer en nous, nous aurions plutôt dans l'idée de refermer la porte et le laisser terminer...euh...ce qu'il est en train de faire.
   Action This Day n'est pas la suite directe. C'est un morceau de Roger Taylor comme nous avons l'habitude d'en entendre depuis le début de notre marathon : rythmé, répétitif et bancal également. La chanson tire un peu plus vers le rock que les précédentes, ce qui pourrait être une bonne nouvelle. En fait pas vraiment, même s'il a un côté entraînant, le morceau comporte plusieurs des défauts caractéristiques de ceux du batteur. L'humour n'est pas en reste sur tout cet album, malheureusement il cède place ici à une certaine naïveté dans les paroles. Si Roger Taylor n'est pas très à l'aise avec l'aspect synthétique de l'album (bien qu'il n'ait pas été le dernier à se jeter sur les synthés au buffet électronique de Flash Gordon) c'est au détour de ce morceau que nous nous en apercevons le mieux. A noter un horrible solo de (faux) saxophone typique de cette époque de trouble et de chaos que nous appelons avec révérence, les années 80.
   Put Out the Fire est le seul vrai morceau rock de l'album et il est très réussi. Tranchant avec les autres morceaux, la chanson exprime avec humour le point de vue d'un meurtrier accro aux armes à feu pour mieux en critiquer l'usage. Brian May aurait dit-on joué le solo alors qu'il était totalement bourré et honnêtement, cela n'est absolument pas un handicap. Il sort un peu de ses gonds trop raffinés pour livrer un morceau plus direct et particulièrement efficace. La batterie n'est pas en reste, très acérée, elle préfigure un peu ce qu'elle sera dans l'album à venir, The Works. Freddie Mercury quant à lui cabotine avec joie, toujours très en forme sur cet album où il ne cache décidément pas son plaisir. Il est d'un goût étrange ceci dit de voir que cette chanson s'enchaîne avec la suivante :
   Life is Real (Song for Lennon) est un hommage vibrant, quoique amer à John Lennon (ah oui ?) qui vient alors de mourir assassiné devant son luxueux appartement à New-York. La mort du chanteur signifie la fin d'un rêve pour toute une génération dont Freddie Mercury fait partie.  Plus qu'un éloge extatique, Freddie Mercury profite de l'occasion pour exprimer son sentiment d'injustice face à l'existence, dans un sens plus large que la mort de l'ancien Beatle. Il est assez rare d'entendre un point de vue si pessimiste dans une chanson du groupe, les paroles sont empreintes d'une rare et sincère amertume exprimant le sentiment d'injustice face à a mort d'un tel personnage. Freddie Mercury semble par ailleurs mêler son propre ressenti, évocant sa propre philosophie quant à sa façon de mener sa vie artistique et personnelle. Au milieu de tout cet artifice synthétique la mélodie au piano simple et calquée sur les morceaux de John Lennon (Mother ou Love particulièrement (Mother Love hein ?) est une sorte de parenthèse avant la reprise des hostilités, parenthèse étrange dans cet album tourné vers la danse.
  Calling All Girls reprend un peu les choses là où nous les avions laissées. C'est un autre morceau de Roger Taylor, et le premier qu'il publie en tant que single. Un single qui ne remportera pas un succès retentissant à vrai dire. Le morceau est pourtant plutôt entrainant et léger (et naïf oui) avec inclusion de scratch avant l'heure. Son clip mérite le détour tant il est kitsch et apparemment fauché, hommage à THX1138 de Georges Lucas. Le morceau est donc plutôt amusant et plus réussi que le lourdingue Action This Day. Il est bien-sûr teinté de nombreuses sonorités artificielles, mais avec moins d'appui que les morceaux du début de l'album.
   Las Palabras de Amor (the Words of Love) est la deuxième chanson à parenthèses de l'album, c'est important de le noter. Il s'agit d'une chanson destinée aux fans du groupe en Amérique du Sud, où Queen connait un succès remarquable. Le morceau est empreint de douceur, contrastant avec l'atmosphère dansante de l'album, laissant un peu présager de sa magistrale conclusion. Si la chanson est une fois encore un peu naïve, elle n'en est pas moins plus sincère et intimiste que les précédentes et ses paroles en espagnol, hommage aux fans d'Amérique du Sud donc, ne font qu'accentuer cet aspect. Le synthétiseur se fait orgue ondoyant d'un effet certes daté mais plutôt réussi. Le clip renforce alors l'idée d'hommage respectueux, déclaration d'amour éhontée, les membres du groupe y apparaissent en smoking et sans artifices...sauf John Deacon qui est venu en chemisette.
   Cool Cat était une chanson prévue pour une participation de David Bowie qui demandera son retrait, insatisfait du résultat. Collaboration de Freddie Mercury et John Deacon, il s'agit d'un morceau soul langoureux porté par la voix de fausset du moustachu. Le morceau n'a encore une fois rien à voir avec la production habituelle de Queen et contribue à la réputation calamiteuse de Hot Space. La chanson est relativement brève, ce qui n'est pas vraiment dramatique. Freddie Mercury semble vouloir jouer dans la cour de Prince, avec un succès mitigé. Disons qu'il est intéressant de le voir évoluer dans une tonalité poussée dans ses retranchements les plus aigus et que la basse un rien funky de Deacon a quelque chose d'accrocheur, mais la sauce ne prend pas vraiment.
  Under Pressure marque la première collaboration d'un artiste extérieur au groupe dans un morceau. Pour la peine l'artiste extérieur est David Bowie. Queen et David Bowie ont profité d'une rencontre en studio pour enregistrer ni plus ni moins que l'un des morceaux majeurs du groupe. L'atmosphère reste proche des sonorités synthétiques de l'album mais cette fois la ferveur de la danse laisse place à une approche plus désabusée et romantique de la musique. Le ton est relativement proche du "Heroes" désespéré de David Bowie, appuyé par une ligne de basse absolument inoubliable et incontournable (surtout par Vanilla Ice http://youtu.be/rog8ou-ZepE) oeuvre magistrale, les mots sont lâchés, de John Deacon très motivé à montrer ses compétences le temps d'un album. Le groupe partage donc le morceau avec un David Bowie en écorché vif qui apporte une subtilité personnelle à cette chanson. Les coeurs et les nappes de synthétiseurs, plus subtils que sur les morceaux précédents, ajoutent une dimension épique à la chanson qui, comme "Heroes" progresse sans se retourner, inexorablement et superbement. On a souvent reproché à Hot Space d'être un album froid et sans âme, Under Pressure utilise habilement cette atmosphère glacée et apparemment impersonnelle pour mieux nous conduire à des sommets poignants peu avant la fin du morceau, et de l'album. L'artificialité est ici adoptée, embrassée et sublimée pour devenir cet hymne intemporel qu'est Under Pressure. Il aura fallu le catalyseur de David Bowie (un catalyseur assez prestigieux oui) pour que le groupe renoue ici avec ses meilleures heures. Si le groupe utilisera la chanson très souvent en concert après sa parution, David Bowie mettra de nombreuses années avant de l'intégrer à ses set-lists.



  Alors, alors. Nous avions posé la question en introduction de notre étape dans le marathon, est-ce que Hot Space est effectivement une erreur de parcours du groupe, une incursion commerciale dans un univers disco/funk qui n'est pas le sien, un ratage total et honteux prouvant un manque total d'integrité ? Ou alors avons-nous là une prise de risque effrontée de la part d'un groupe qui cherche à puiser dans de nouvelles influences ? Et bien la réponse du zombie n'est pas très difficile à deviner. Hot Space est un objet insolite dans la discographie de Queen. Il n'en est pas pour autant le signe que le groupe a vendu son âme au diable, prêt à profiter des avantages financiers procurés par l'écriture de morceaux pour boîtes de nuits. Il est curieux de noter qu'à la même époque, Alice Cooper publiera ses albums les plus étranges, eux aussi apparemment synthétiques et éloignés de son univers habituel mais pourtant très personnels, quitte à s'éloigner d'un format facilement assimilé par la base de fans conventionnelle. Alors, alors. Hot Space nous livre pourtant un indice assez flagrant dés sa couverture colorée non ? Le jeu de Simon, les aplats colorés façon Andy Warhol ... Et si sous des abords ouvertement artificiels, plastiques et même basiques, et si Queen venait de produire un pur objet pop-art ? Peut-être que l'entreprise est maladroite, elle l'est parfois manifestement au travers de certains morceau moins inspirés, mais elle constitue une réelle démarche artistique dont la prise de risque se soldera par un échec commercial retentissant. Hot Space est également une excellente vitrine pour John Deacon dont la personnalité discrète nous a fait oublier son talent indéniable à la basse et en tant que compositeur. Son empreinte marque profondément l'atmosphère de cet album qui le met sur le devant de la scène à plusieurs reprises. Alors oui, Brian May doit retenir ses solos, Roger Taylor n'est pas très motivé et Freddie Mercury semble tout droit sorti d'un club cuir-moustache (et c'est à peu près le cas), mais Hot Space mérite de s'y intéresser de beaucoup plus près que ne vous le dirons la plupart des connaisseurs du groupe. Il faudra pourtant à Queen énormément d'énergie et de travail (!) pour se remettre en selle après la déception générale qui accueillit cet album fort mal aimé, à tous les sens de l'expression.



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